Cet article va traiter (encore) de moi, et plus particulièrement de mon bide. Car ça fait quelques temps (oserai-je dire quelques années ?) que j’ai des problèmes de bide. Et enfin, depuis quelques temps (quelques semaines cette fois-ci), j’ai décidé de prendre ce problème à bras-le-corps.

Cet article est donc le premier d’une série intitulée sobrement mon coming-prout. On sent l’influence des Jours pour le principe de la série ainsi que le nom pourri recherché. J’ai également été influencé par le blog Kancer club, qui retrace « l’itinéraire d’un jeune cancéreux ». En espérant que dans mon cas, ce soit moins grave.

De la gêne à en parler

C’est difficile de parler de caca. Je veux dire, autrement que sur le ton de la rigolade. Du nôtre surtout. De sa forme, de son odeur, de sa fréquence. C’est hyper intime en fait, vous ne trouvez pas ?

Et pourtant, on gagnerait à le faire. Je viens de consulter le résultat d’un sondage de l’Ifop qui affirme qu’à peu près une personne sur deux, en France, souffre d’au moins un trouble digestif, quel qu’il soit.

La digestion est au cœur de notre vie : tout le monde fait caca, mais on a un peu honte à en parler, surtout quand on a des problèmes. On n’aime pas qu’on nous entende quand on est sur le trône, et pourtant beaucoup de toilettes ne sont pas insonorisées. Autant de paradoxes que la parole pourrait aider à dénouer, je pense.

Alors je me lance.

Pourquoi parler maintenant ?

Avant de parler des symptômes, parlons des effets sur la dimension psychologique et la dimension sociale. C’est assez handicapant, les problèmes de transit. D’une part, il y a la conception des lieux publics et privés, c’est-a-dire les toilettes et leur accès. Pas insonorisées, pas discrètes, pas assez nombreuses… Elles sont peut-être suffisantes pour les personnes qui n’ont pas de problèmes digestifs, mais elles font défaut à l’autre moitié de la population.

Et d’autre part, il y a cette norme sur le transit, ce tabou. Sans cela, peut-être que les malades du cul oseraient se lâcher, faire du bruit, aller à la selle toutes les 10 minutes. Mais aujourd’hui en tout cas, c’est compliqué : sentiment de honte, d’être différent·e, d’être jugé·e.

Tout cela fait que récemment, j’ai dû annuler un voyage. Je devais traverser la France, rendre visite à un ami pendant quelques jours. Petit à petit, l’angoisse est montée. « Comment je vais faire pour aller aux toilettes discrètement, dans un petit appartement ? Si on fait des randos, comment ça va se passer ? Comment ne pas me chier dessus ? Et puis s’il y a une soirée avec de l’alcool, comment passer la journée suivante ailleurs qu’aux toilettes ? » Tant de questions que j’ai commencé à me poser à mesure que j’accumulais les expériences difficiles et douloureuses pendant les vacances, les weekends, hors de chez moi.

J’ai donc décidé d’arrêter de me mentir à moi-même. Pour arrêter de me faire du mal, pour arrêter de décevoir les gens, prévenus à la dernière minute de l’annulation pour cause de “mal au ventre”. Et pour guérir j’espère ! Car oui, je suis malade. Je ne connais pas encore le nom de la pathologie, mais je dois me faire soigner.

Et il faut que ça commence par un diagnostic, parce que j’ai besoin d’un nom, pour accepter mon état et aller de l’avant.

Depuis plusieurs années…

Ok, maintenant, je peux enfin parler de mes symptômes. Les symptômes de troubles digestifs peuvent être très divers. Mais je pense qu’un bon nombre de personnes atteintes de ces troubles peut se sentir concerné par ce que j’ai écrit jusqu’à présent : honte, gêne, tabou…

Avant de lister mes symptômes, je vous présente l’échelle de Bristol, qui permet d’évaluer son caca de 1 (dur et séparé en morceaux) à 7 (liquide) :

L'échelle de Bristol

L'échelle de Bristol.

Moi je me place quasiment en permanence le type 5 et le type 6, parfois type 7. Ça tend vers la diarrhée quasi-permanente en somme. Et mon côlon a l’air d’aimer tout sauf le solide : en plus du quasi-liquide, j’ai des gaz. Vu que c’est difficile de péter dans ces conditions, je suis pas mal ballonné quand je n’ai pas accès à des toilettes. Le gaz s’accumule, prend beaucoup de place. Et commence à faire des bruits forts, gênants, honteux.

Depuis plusieurs années je subis cet état, assez fatiguant mentalement. Au départ c’était plutôt passager, aujourd’hui presque permanent.

Étant donné les symptômes, on peut tenter un autodiagnostic. Mais à moins de faire des examens plus poussés, ça peut être un peu tout, du grave et du moins grave :

  • maladie de Crohn : inflammation de l’appareil digestif, agit par poussées. Souvent il y a de la fièvre et de la perte de poids, deux symptômes que je n’ai pas. Possible cause : génétique, environnement (tabagisme, alimentation riche en protéines animales), déséquilibre du microbiote, psychologie (stress).
  • syndrôme de l’intestin irritable : peut être associé à des diarrhées et/ou à des constipations. Plein d’autres symptômes possibles : fatigue, maux de tête… Et aussi des douleurs dans le bas du dos, ce que j’ai parfois. Possible cause : déséquilibre du microbiote intestinal (qui peut venir de plein de facteurs).
  • parasitose intestinale : des parasites dans le bide. Plein de parasites différents, mais certains (comme Giardia intestinalis) provoquent des diarrhées longues. Il peut aussi y avoir du sang dans les selles. Cause : manger du caca (je l’ai rarement fait quand même) ou des choses contaminées avec du caca, mais aussi ingérer de la viande pas très cuite (j’avais l’habitude de manger de la viande bien saignante…).

Ce que j’ai essayé

Évidemment, je ne suis pas resté les bras croisés pendant tout ce temps. J’ai essayé de me renseigner et de changer mon alimentation.

J’ai regardé pas mal de documentaires sur le microbiote, comme une chouette série : Comment j’ai hacké mes intestins. Ce documentaire parle en particulier du microbiote, des probiotiques, des régimes particuliers, de la transplantation fécale, des phages, du soin par des vers (helminthes). Intéressant à regarder pour se rendre compte qu’a priori, il n’y a pas une solution miracle, mais une myriade de trucs à essayer.

J’ai également écouté le balado Chroniques de l’intérieur. Une sorte de docu-fiction audio, qui suit Lou, une femme gênée par la constipation, ce qui impacte sa vie personnelle, professionnelle, intime… Il m’a été assez facile de me mettre à sa place. Ça a d’ailleurs contribué à dédramatiser la situation et donc à produire ce coming-prout.

J’ai évidemment tenté de changer un peu mon régime alimentaire. J’ai appris plus ou moins à identifier les aliments riches en FODMAP, c’est-à-dire les aliments qui contiennent des fermentable oligo-, di-, monosaccharides and polyols. Des bouts de sucre (monosaccharides, disaccharides et oligosaccharides) et des alcools de sucre (polyols) qui sont utilisés par des bactéries du microbiote. Ce sont ces bactéries qui seraient responsables du syndrôme de l’intestin irritable. En limitant les aliments riches en FODMAP, on diminuerait le nombre de ces bactéries. Quels aliments alors ? Beaucoup… le blé et d’autres céréales, les artichauts, les poireaux, les haricots, des fruits comme les pommes, poires et pruneaux. Autant dire qu’un régime sans FODMAP, c’est un peu compliqué à suivre.

J’ai tenté de fabriquer mes propres probiotiques, en faisant ma propre kombucha, cette boisson fermentée à base de thé. J’ai essayé d’ingérer d’autres probiotiques trouvés en sachets en magasin.

Je suis même allé jusqu’à postuler à une start-up rennaise, Nahibu, qui se spécialise dans l’analyse du microbiome (le génome du microbiote) pour diagnostiquer des dysbioses, des problèmes de microbiote. Je pensais qu’en échange de mes services en bioinformatique et analyse de données, ils auraient pu me filer un test gratuit. 😋 Je n’ai pas eu de réponse, tant pis.

Cependant, les troubles digestifs, qu’ils soient liés ou non au microbiote, sont tellement multifactoriels qu’il est extrêmement difficile d’identifier l’origine du ou des problèmes. Par exemple, le moindre changement d’alimentation, il faut le maintenir pendant plusieurs semaines pour avoir des effets. Ça demande une motivation en acier, qu’il est difficile de garder vu qu’il n’y a pas d’effet immédiat.

La suite

La solution c’est donc d’en parler. En parler autour de soi (ce que je fais en écrivant ces lignes), pour que l’entourage comprenne, sans pour autant éprouver de pitié hein, ça ne servirait à rien.

Et puis en parler à un·e professionnel·le de santé pour avancer, savoir quoi faire pour résoudre ou atténuer les symptômes. Et c’est d’ailleurs ce que je vais faire d’ici quelques jours !

Dans la suite de cette série, je vais donc tâcher de relater mes aventures fécales, mes expérimentations probiotiques et autres voyages dans le microbiote. La première partie de l’aventure, racontée dans cet article, je l’ai faite en solo. À partir de maintenant je ne suis plus seul ! Il va y avoir du personnel médical et puis les quelques lecteurices de ce blog. Peut-être qu’en deux épisodes tout sera résolu, peut-être qu’il faudra plusieurs saisons. Le suspense, croyez-moi, est partagé entre vous et moi !

Dans la cuvette au prochain épisode donc : la première consultation médicale chez une généraliste !